Et un jour, Virginie n'est pas venue travailler. Elle avait rendu sa tenue d'hôtesse de caisse. Deux fois, elle m'avait adressé la parole. Soit elle me trouvait très laid, soit pas. Toujours est-il qu'elle m'avait parlé. Pour ne rien dire. Et voilà.
Le petit chapelet de saucisses:
J'ai dit que j'allais être absent quelques temps, sans préciser la durée. Je ne voulais entendre, ni d'elle, ni des autres, ni les incessantes plaintes, ni les débordements de tristesse, ni les éclats de joie. Rien. Qu'on me fiche la paix, ad vitam nauseam.
Ainsi.
Comme j'étais seul et tranquille ce matin, je suis allé au marché. J'ai savouré du regard et surtout du nez l'ensemble des produits proposés. Des fruits et légumes colorés et frais, du fromage comme s'il en pleuvait, de la viande à ne plus savoir qu'en faire... Un régal. Subjugué par toute cette authenticité, je suis allé, sans la moindre hésitation, au Burger King. J'ai commandé, j'ai payé, j'ai fait la queue.
Tiens. Je connais ce visage.
Virginie.
Je scrute l'écran, puis la fille qui prépare les commandes, puis l'écran, puis la fille.
Commande 42. J'avance. Evidemment, elle me reconnait. Enfin, c'est ce que je crois. Elle me tend mon sac et me souhaite un bon appétit avec un assez large sourire. Elle a dû me reconnaitre. Bon, soit.
Je me suis régalé; c'était cher mais ça valait le coup.
Digestion,
Je regarde The Office et/ou Breaking Bad en machant bêtement un chewing-gum. Puis je joue à LoL, seul. Les gens sont définitivement atrocement cons, comme des putain de tables.
Je regarde dehors. Rien. Percevant une perle d'ennui, je me rends à Gifi, parce que quelqu'un, quelque part, a enfin compris que les magasins devaient être ouverts le dimanche. Et faut pas croire, il y avait du monde, alors qu'il faisait beau.
J'achète un cadre photo et un plateau. Aucun des deux ne me donne pleine satisfaction, mais c'est comme ça.
Je rentre. Je range un peu. Je retourne glander sur le PC. Mais pas longtemps. Le soleil se couche.
J'ai pas faim, je me casse. J'essaie tant bien que mal de rouler vite, mais c'est compliqué quand les gens devant décident que finalement, la vitesse maximum autorisée sera 45 et pas 70. Je meurs. Je meurs.
J'arrive au bord de la mer. Je fais quelques pas. Il fait froid, mais je suis couvert. Je regarde devant: de l'eau, et quelques lumières. Je regarde au dessus: du ciel, et quelques lumières. J'écoute: bruit d'eau, vent.
Je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé au boulot. Un jour, quand mes testicules ne seront plus cachées par le gras de mes cuisses (et je vous emmerde), j'arriverai avec le sourire, et je dirai un truc du genre: "bande de connards nazis, allez bien vous faire foutre avec vos objectifs de merde!". Et j'accompagnerai ça d'un sublime doigt d'honneur.
Du coup, je regarde l'heure, là tout de suite: va falloir que j'aille travailler. Hahaha, quelle belle époque.
Je viens de recevoir un sms d'un numéro inconnu: "Je suis vraiment désolée car je tiens vraiment a faire de tatouage je vous laisse car je suis sur le départ j attends de vos nouvelles et je vous en donne quand je serai rentré". Du coup, j'ai ri, et j'ai répondu: "D'accord. Prends soin de toi."
Virginie ne travaillait donc plus à Super U depuis quasiment un an, je pense, et même si je trouvais qu'elle avait un jolie bouille, ce n'était pas franchement grave. C'était d'autant moins grave que Manon, qui effectuait en plus le beau métier d'ELS, était franchement canon.
M'enfin, quelle importance ça peut bien avoir? C'est pas comme si j'allais aller lui parler. Même si c'était le cas, il faudrait, pour que ce soit un minimum intéressant, qu'elle soit célibataire, qu'elle soit incroyablement intéressante, et, enfin, que je sois un homme, un vrai.
Oh bref.
Je pense, mais je peux me tromper, que personne ne se rend compte d'à quel point elle me manque. J'en entends parler, autour de moi (et malgré moi, évidemment), de mariage, de salaire, d'enfants, de maison, de vacances. Moi, elles me manquent, c'est tout. Le soir je rentre pour dormir; le matin je me lève pour donner à manger au chat et aller travailler. Quelle exaltation.
Quand je me casserai d'ici, ce qui finira par arriver d'une façon ou d'une autre, je ne vais regretter qu'une chose (outre la mer et l'odeur qui va avec): le vent, jouant de temps en temps avec mes cheveux.
Là il faudrait que je fasse un champoing et que je me rase. Bah ils iront se faire foutre d'abord.
Ma barbe et ma chevelure indomptées (je plaisante, ho) me manquent. Un jour, un jour.
Un jour, oui, quand on m'aura dit: "Monsieur Gian, comme vous n'êtes pas allé chez le dermato comme on vous l'avait dit, vous avez un cancer et vous allez pouvoir claquer votre PEL useless as fuck et laisser pousser votre barbe".
Peut être que j'ai l'air d'un gosse capricieux. Certainement, même. M'enfin, il me semble que j'ai toujours essayé de faire ce qu'on attendait de moi. Du moins, l'Etat Français ne m'a jamais rien reproché, à part peut être quelques excès de vitesse avec lesquels, d'ailleurs, je n'ai rien à voir.
Mais bon, c'est mal foutu, tout ça. Et je ne suis pas le plus à plaindre, c'est sûr.
Bon je n'ai plus le temps de raconter des bêtises, faut que je me prépare à partir.
Vu l'heure, il doit être sous terre, ou presque. Au moins, là, il ne souffre plus pour rien.